lundi 20 octobre 2008

L'homme livre


Voici ci-dessous un texte que m'a adressé M. Hervé de Tonquédec, après avoir assisté fin septembre à une représentation du deuxième épisode de Jean-Jacques, texte qu'il m'a aimablement autorisé à reproduire sur ce blog... Qu'il en soit remercié.

L'HOMME-LIVRE


Le philosophe pessimiste avec qui je causais me dit, tout à trac :

« Hier, j’ai rencontré un homme-livre. »

Devant mon étonnement, il me tendit quelques feuillets en m’expliquant que je comprendrais après les avoir lus. Il ajouta qu’il les avait rédigés le matin même.

Voici, mot pour mot, ce qui était écrit :

Les écrivains sont, le plus souvent, visionnaires et prophétiques. Ce qu’ils imaginent est arrivé ou arrivera, aurait pu arriver… Ainsi Ray Bradbury et son «Fahrenheit 451». Pour que mon lecteur comprenne mon propos, il me faut résumer ce chef d’œuvre, ici, en quelques mots. Dans «Fahrenheit 451», l’aventure humaine se passe dans un futur, qui pourrait bien être notre présent – le livre est maintenant ancien, et on en a tiré des films à succès -; dans cet univers, les livres sont bannis, les écrans ont pris toute la place. Les valeurs qui étaient les nôtres sont inversées : les pompiers n’éteignent plus les incendies, – il y a longtemps qu’il n’y a plus d’incendie, tellement les normes de sécurité sont contraignantes - non, les pompiers n’ont plus de lance à eau, ils sont maintenant équipés de lance-flammes et rassurent la population en brûlant tout ce qui est nuisible, et en premier lieu, les livres (le papier prend feu lorsqu'il est exposé à une température de 451° Fahrenheit). Néanmoins quelques marginaux continuent à lire et cachent leurs précieux volumes. Mais bientôt, la police étant bien faite, ces irréductibles ne sont bientôt plus en mesure de cacher quoi que ce soit ; ils sont alors contraints d’apprendre par cœur le contenu des livres s’ils ne veulent pas que des pans entiers de la littérature soient consumés et réduits en fumée, perdus à jamais. Ainsi, dans les égouts ou dans ce qui reste de forêts on trouve de petites communautés d’hommes-livre. Chacun connaît, par cœur, un livre… et le transmet à un plus jeune… La littérature subsiste ainsi, cachée, au fond des sinuosités grises des cerveaux.

Eh bien, hier soir, j’ai rencontré un de ces hommes-livre.

Je l’ai rencontré dans la vraie vie. Il a un nom, une date de naissance, un blog, de la peau sur les os. Il est né quelque part du côté de Marseille ou du moins y a vécu. Il s’appelle Jean-Jacques… non ! Je me trompe, Jean-Jacques n’est pas son vrai nom. Son vrai nom est William. Un nom prédestiné… Cet homme connaît par cœur l’ouvrage le plus énorme, le plus étonnant qui soit de Jean-Jacques Rousseau : les Confessions ! Il connaît ce texte intégralement et le dit, le raconte à qui veut bien l’entendre. Il vous en coûtera une vingtaine d’euros. Pas plus.

Pas plus tard qu'hier soir, je l’ai entendu et rencontré.

Il arrive, ses cheveux grisonnants tombant sur ses épaules, un profil d’empereur romain ou de philosophe des lumières, des mains de musicien aux longs doigts fins et vigoureux. Et le voilà qui installe d’abord le silence nécessaire à l’écoute. Puis, d’une voix étonnamment claire et douce, il se met à parler, à parler. Il raconte ses souvenirs, il se confesse. Il dit les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Avec gravité quand il le faut, avec humour souvent, avec désespérance, le nez sur ses chaussures quand il raconte l’histoire du ruban volé et de la pauvre Marion à la vie perdue par sa faute, en relevant les yeux lorsqu’il tente de se justifier et qu’il explique pourquoi il a écrit ce livre.

Je vous jure que je ne savais plus alors qui j’étais et vous comprenez peut-être maintenant la confusion que j’ai faite sur son nom. Devant moi se tenait Jean-Jacques Rousseau au soir de sa vie, se confessant à moi qui devenais ainsi son confident et trouvais incongrues mes chaussures de ville quand il m’aurait fallu des souliers à boucle. Nous étions en 1700 et quelques, et je frissonnai de joie d’entendre cette langue admirable, capable d’entrer dans la plus fine analyse qui soit des sentiments, que ceux-ci fussent nobles ou non, sincères ou hypocrites ; cette langue française du dix-huitième siècle maniée par Jean-Jacques Rousseau en personne !

Enfin, je ne savais plus qui me parlait. Etait-ce William della Rocca, l’homme-livre ou l’auteur de l’Emile et des Rêveries d’un promeneur solitaire ?

Quand il se tut, je revins à moi et au vingt-et-unième siècle. Mais il fallut qu’il se taise. Et nous pûmes ensuite bavarder. Il avait quitté sa chemise à jabot, ses bas et ses souliers à boucle ; il avait attaché ses cheveux en catogan et revêtu un simple jean. L’homme-livre était redevenu un homme comme vous et moi. Vous trouverez toutes les informations que vous souhaitez sur son blog «jeanjacquesetmoi.blogspot.com» !

Il aurait pu m’expliquer qu’un livre était comparable à une montagne.

Car le saviez-vous ? Un livre est une montagne. Mais ceci est une autre histoire, que j’écrirai peut-être un jour.»

Voilà ce que contenaient ces feuillets du philosophe pessimiste. Etonnant, non ?


Vous trouverez d'autres textes de Hervé de Tonquedec en cliquant sur le lien ci-dessous :

Mes oeuvres sur In Libro Veritas

mardi 7 octobre 2008

Résumé du quatrième épisode (1730 - 1731) + index des personnes citées & lexique


De retour à Annecy, Jean-Jacques constate que Mme de Warens a quitté la ville. Après un intervalle durant lequel se situe la fameuse "journée des cerises", avec deux jeunes filles de la ville, il escorte - en toute innocence - jusqu'à Fribourg l'ancienne femme de chambre de Maman, rendant au passage visite à son père à Nyon. Commence alors une errance de plusieurs mois durant lesquels il enseigne tant bien que mal la musique, à Lausanne puis à Neufchâtel, jusqu'à sa rencontre avec un prêtre orthodoxe itinérant qui quête en Europe pour le rétablissement du Saint-Sépulcre à Jérusalem. A Soleure, l'Ambassadeur de France recueille Jean-Jacques et l'envoie à Paris comme précepteur chez un colonel suisse. C'est un échec. Au retour, il reçoit à Lyon une lettre de Mme de Warens et de l'argent lui permettant de la rejoindre à Chambéry.
Jacques Voisine
Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau

Les représentations du quatrième épisode ont débuté le 2 octobre 2008


INDEX DES PERSONNES CITÉES DANS CET ÉPISODE

Esther Giraud (1702 – 1774), née à Genève, fille d’un réfugié français, elle avait abjuré le 11 janvier 1727. Madame de Warens lui servit de marraine et lui donna les prénoms de Françoise-Louise. Elle vécut à Annecy de sa profession de courte-pointière.

Marie-Anne de Graffenried ( … - 1748) entra en 1732 au second monastère de la Visitation et devint en 1738 pensionnaire au couvent des cisterciennes de Bonlieu, où elle mourut.

Claudine Galley (1710 – 1781) épousa en 1740 un sénateur de Savoie de trente ans plus âgé qu’elle. Devenue veuve en 1761, elle mourut sans enfant à Chambéry.

Jean-Baptiste Simon (ou Symond) (1692 - 1748) originaire de La Rochette, il avait été nommé juge-mage d’Annecy le 17 janvier 1730, moins de six mois avant de rencontrer Jean-Jacques. Il mourut le 23 juin 1748, et légua tous ses livres à la ville d’Annecy pour en faire une bibliothèque publique.

Perrotet aubergiste à Lausanne

François-Frédéric de Treytorrens (1687 – 1737) professeur en droit à Lausanne

Jacques Leuthold (1708 – 1768) symphoniste à Lausanne

R. P. Athanasius Paulus, l'Archimandrite, se disait être de l’ordre des Saints Pierre et Paul de Jérusalem.

Jean-Louis d’Usson, marquis de Bonac (1672 – 1738), fut ambassadeur de France auprès du Corps helvétique de 1727 à 1736. Sa femme, née Madeleine-Françoise de Gontaut-Biron, était beaucoup plus jeune que lui. Elle mourut en 1739, âgée de 46 ans seulement.

Laurent-Corentin de La Martinière secrétaire-interprète de l’ambassade à Soleure de 1700 à 1731. Il mourut six mois après le passage de Jean-Jacques.

David-François de Merveilleux ( … - 1748) officier en France, puis secrétaire-interprète du roi

Jean-François Gaudard (1649 - 1738) colonel des Gardes suisses, entré au service de la France dès 1674, converti au catholicisme.

Madame de Merveilleux est peut-être l’épouse de Charles-Frédéric de Merveilleux, colonel mort en 1749. A moins que Jean-Jacques ne se soit trompé et qu’il s’agisse de l’épouse du secrétaire-interprète, née Marthe Cottin, qui s’accorde mieux avec sa description.

Mademoiselle du Châtelet pensionnaire du couvent des Chazottes à Lyon, amie de Madame de Warens.

Monsieur Rolichon religieux de l’ordre de Saint-Antoine.

Don Antoine Petitti intendant général des finances de Savoie.


Lexique du quatrième épisode

Ce livre couvre la période de avril 1730 à octobre 1731

Et quand il fallut l’embrasser pour me tenir : l’entourer de ses bras.

nous ne déparlâmes pas un moment : cesser de parler. Ne se dit qu’avec la négative.

Nous dînâmes dans la cuisine de la grangère : celle qui tient une ferme, à condition de partager le produit avec le propriétaire. Mot employé dans le Dauphiné, en Savoie et en Suisse romande. L’expression française correspondant à granger est métayer.

Jamais souper des petites maisons de Paris n'approcha de ce repas : maisons discrètes, destinées aux rendez-vous galants.

Venture me dit qu’il avait parlé de moi à monsieur le Juge-mage : magistrat chargé, en première instance, de tous les procès civils et même de certaines causes criminelles.

M. le Juge-mage Simon n'avait assurément pas deux pieds de haut : soixante centimètres.

et voyant dans ce lit une cornette : ancienne coiffure de femme.

et voyant dans ce lit une cornette, une fontange : nœud de rubans que les femmes portaient sur leur coiffure, à la manière de Mlle de Fontange, maîtresse de Louis XIV.

Le paysan (…) lui chante pouilles : lui adresse des reproches mêlés d’injures.

Il s’était jeté dans la belle littérature : littérature d’agrément opposée aux travaux d’érudition, ou plutôt littérature mondaine, précieuse, par opposition à celle des philosophes et des moralistes.

elles l’avaient à leur suite comme un petit sapajou : petit singe de l’Amérique centrale et du sud à pelage court, à poil dressé autour de la face et à la longue queue. La métaphore désigne couramment un petit homme laid et ridicule.

Mademoiselle Giraud était contre-pointière : ouvrière réparant les meubles, piquant des étoffes ou confectionnant des tentures.

j'aimais mieux cet entrepôt-là que point : dépôt pour des marchandises en transit.

et prenait toujours grand soin (…) que nous couchassions dans la même chambre : identité qui se borne rarement là dans un voyage : identité de situation, fait d’être dans la même chambre, terme impropre pour promiscuité.

et sans pouvoir noter le moindre vaudeville : chanson qui court par la ville.

d’en tirer les parties : papier de musique sur lequel est écrite la partie séparée de chaque musicien.

Venture m'avait appris cet air avec la basse : avec son accompagnement simplifié.

de la vie on n'ouït un semblable charivari : bruit discordant accompagné de huées.

Mes bourreaux de symphonistes : qui jouent des instruments de musique ou qui composent des pièces qu’on joue dessus.

à percer le tympan d’un quinze-vingt : aveugle reçu dans l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris.

quel diable de sabbat : bruit d’enfer, chahut, tapage.

J'ai toujours trouvé dans le sexe une grande vertu consolatrice : le beau sexe, les femmes.

Je n’apportai pas de cette ville des souvenirs bien rappelants : qui rappelle, qui frappe la mémoire.

Il me conta qu’il était (…) Archimandrite de Jérusalem : nom du supérieur de quelque monastère.

pour le rétablissement du St. Sépulcre : église érigée par les Croisés au XIIème siècle à l’emplacement du Golgotha et du tombeau du Christ.

le Marquis de Bonac qui avait été ambassadeur à la Porte : ambassadeur auprès de l’empire ottoman, à Istambul.

Cette chambre a été occupée (…) par un homme célèbre, du même nom que vous : il s’agit du poète Jean-Baptiste Rousseau (1670 – 1741)

Car on avait arrangé que je commencerais par être cadet : jeune gentilhomme qui sert comme simple soldat pour apprendre le métier de la guerre.

je ne voyais plus que troupes, remparts, gabions : grands paniers qu’on remplit de terre, dans les sièges, pour couvrir les soldats contre les tirs.

Des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses : des raccommodeuses.

Je reçus de la part de monsieur l’Ambassadeur encore une petite remise : argent, valeurs.

mais cela n’était pas fort restaurant : qui restaure, qui répare les forces.

ces mots terribles de Commis et de Rats-de-cave : personne préposée à la perception des droits sur certaines marchandises. On leur donnait le surnom de Rats-de-cave parce qu’ils visitaient – et pillaient – les caves d’autrui.

il cachait son vin à cause des aides : impôts sur le vin et les boissons pour aider à soutenir les dépenses de l’Etat.

il cachait son pain à cause de la taille : impôt qui ne touchait que le peuple ; il était établi sur une estimation arbitraire des ressources de chaque contribuable et comme tel, très impopulaire.

la proie des barbares publicains : percepteurs (à Rome).

l’Astrée n’avait pas été oublié : roman pastoral d’Honoré d’Urfé, publié à partir de 1610.

Je demandais la route du Forez : ancien comté inclus à la couronne de France au XVIème siècle, actuellement inclus dans le département de la Loire.

En arrivant j’allai voir aux Chasottes mademoiselle du Châtelet : le couvent des Chazeaux (ou Chazottes) s’élevait sur les pentes de la colline de Fourvière. Mlle du Châtelet était l’une des pensionnaires.

je passe plus de temps à gratter qu'à noter : à effacer les fautes.

il aurait fallu deviner en effet pour rencontrer juste : avoir les talents d’un devin.

En un mot je n'étais plus dans l'empyrée : dans l’ancienne cosmogonie, la plus élevée des sphères célestes, séjour des dieux.

il avait ordonné un cadastre général de tout le pays, afin que rendant l'imposition réelle, on pût la répartir avec plus d'équité : mensuration des états pour assurer une répartition à la fois plus juste et plus rentable de l’impôt foncier. Les opérations de mesures sur le terrain étaient confiées à des géomètres, la transcription des résultats à des secrétaires.

Deux ou trois cents hommes, tant arpenteurs (…) qu'écrivains : chargés des écritures.

Le mal était que cet emploi n'était qu'à temps : temporaire.