vendredi 20 février 2009

Troisième entretien avec William della Rocca


- Vous rencontrez toujours votre public après le spectacle, quelles sont les questions que celui-ci vous pose le plus souvent ?


La plus fréquente est incontestablement : Comment faites-vous pour retenir un texte aussi long ? La mémoire des acteurs impressionne beaucoup les gens, on dirait. Je réponds que je travaille quotidiennement et que cette activité régulière, de mémoriser des textes, me permet de développer des capacités que je n’aurais sans doute pas sans cela. Je ne crois vraiment pas que la mémoire, celle-ci en tout cas, soit un don, c’est juste le résultat d’un travail constant, et d’une volonté aussi. On me demande aussi si ce n’est pas trop difficile de voir le public aussi bien qu’il me voit et de jouer aussi près des spectateurs. Là, je suis plus nuancé. Ce peut être un plaisir, qui procure une jouissance rare, quand le public vous accorde son attention, écoute vraiment, et réagit à ce que vous lui dites, comme un supplice éprouvant lorsqu’il ne réagit à rien et même, dans certains cas, ne vous regarde pas. Je sais maintenant qu’il y a des personnes qui ne supportent pas l’intimité que je tâche de créer avec elles durant le spectacle, ce qui est regrettable : pour moi, qui m’épuise à donner, sans quasiment rien recevoir en retour, et pour elles, qui n’auront finalement que le spectacle qu’elles auront mérité, puisque celui-ci a profondément besoin d’une écoute active, et réactive, pour atteindre une dimension qui en fera une expérience rare pour tout le monde. Mais beaucoup ne sont pas conscients de cela et s’asseoient devant moi comme devant leur téléviseur. Sans parler des préjugés tenaces que certains ont vis-à-vis de Jean-Jacques Rousseau. Ce qui m’amène à la troisième question que l’on me pose le plus souvent : Pourquoi a-t-il abandonné ses enfants ? et surtout comment a-t-il pu oser écrire un traité sur l’éducation après avoir commis une telle infamie ? La réponse est dans le Livre 8, que je présenterai sur scène à l’automne 2010. Si elle ne convainc pas certaines personnes, je leur conseille alors de se questionner elles-mêmes sur ce qui le obsède à ce point dans cette affaire, qui a eu lieu, je le rappelle, il y a plus de deux siècles, dans une époque où ce genre de pratique était malheureusement monnaie courante, et souvent pour des raisons tout à fait excusables. De plus, il me semble que Jean-Jacques a suffisamment souffert après coup d’avoir commis cet acte pour qu’on lui fiche un peu la paix aujourd’hui, et qu’on se préoccupe davantage de ce qui ne tourne pas rond à notre époque.

- En 2012, la Ville de Genève va célébrer en grande pompe le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. A cette occasion, elle a lancé un appel à projets auquel vous avez répondu, mais le vôtre n’a pas été retenu. Vous a-t-on expliqué pourquoi ?

Pas le moins du monde, comme souvent en pareil cas. Je pense qu’outre le fait qu’ils paraissent avoir surtout privilégié des artistes locaux, un projet comme le mien leur a peut-être semblé trop ambitieux, voire irréalisable. De plus, personne ne me connaît à Genève, je sors de nulle part pour ces gens-là et, même si je les ai invités à assister à une ou plusieurs représentations de mon spectacle, aucun n’a répondu à mon invitation. Ce n’est pas grave, je trouverai un autre moyen de jouer à Genève. Je suis même persuadé que je n’aurai pas à le chercher et qu’il se présentera de lui-même. En fin de compte, j’aime autant ça.

- Qu’attendez-vous des trois années qui vous séparent maintenant de la finalisation de votre projet ?

Tout d’abord je souhaite avoir la force physique de mener ce projet à son terme, et je dois dire que le soutien et la fidélité d’un nombre de plus en plus important de personnes qui apprécient mon travail créent toutes les conditions pour qu’il en soit ainsi. Ce phénomène extraordinaire qu’on appelle le bouche à oreilles, et qui est incontestablement bien plus efficace, et moins coûteux, que bon nombre de campagnes publicitaires me permet de jouer régulièrement depuis deux ans, sans être obligé de gaspiller mon énergie à tâcher de convaincre journalistes ou professionnels du spectacle que je mérite un peu d’attention. Je suis si peu doué pour m’autopromouvoir que je laisse cette part du travail à ceux de mes spectateurs qui jugent bon de l’accomplir. Ainsi, si dans trois ans ce projet obtient une audience de plus en plus large, voire une reconnaissance médiatique, ce sera autant la victoire de celles et ceux qui ont cru en moi que la mienne. Je vais fêter ma centième représentation avant la fin de cette année, ce qui à mon échelle est un véritable miracle, et c’est mon travail et l’engouement qu’il suscite chez un public de plus en plus important de fidèles qui ont rendu cela possible. Cela me remplit de joie et constitue pour moi une réponse pleine d’espoir face au découragement, à l’inertie et au marasme.

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